Tim Richter, président et chef de la direction de l’ACMFI, a fait une présentation au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées (HUMA), aujourd’hui. Lisez ce qu’il avait à dire sur l’élimination définitive de l’itinérance au Canada, ci-dessous.
Bonjour à tous. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui de la réponse du gouvernement fédéral à la COVID-19, plus particulièrement en ce qui concerne l’itinérance.
Je vais parler brièvement de la réponse fédérale d’urgence à la COVID-19, mais je me concentrerai davantage sur l’occasion qui se présente à nous de construire une remise sur pied pour tous.
Avant la COVID-19, nous avions déjà une catastrophe qui se déroulait dans nos rues à la même échelle que les plus grandes catastrophes naturelles de l’histoire du Canada. Chaque année, plus de 235 000 Canadiens se retrouvent sans abri. Nous savons que l’itinérance condamne les gens à une mort précoce – effaçant jusqu’à 25 ans de la vie d’une personne et tuant un nombre incalculable de personnes chaque année. Le mémorial des personnes sans-abri de Toronto répertorie à lui seul plus de 1 000 noms.
Ce désastre est dû à l’humain – l’itinérance de masse que nous voyons au Canada aujourd’hui est la conséquence de choix politiques fédéraux, en particulier l’élimination des programmes fédéraux de logement abordable dans les années 1990 et la réduction des transferts sociaux aux provinces. Ces compressions ont été aggravées par des forces du marché incontrôlées et pernicieuses qui ont systématiquement dépouillé le marché du logement locatif canadien de centaines de milliers de logements abordables.
L’ironie de la situation est que les compressions des années 1990 n’ont en fait permis aucune économie – elles ont simplement transféré les coûts vers d’autres postes de dépense au fédéral et au provincial comme les soins de santé, la justice et les services sociaux. L’itinérance coûte aux Canadiens plus de 7 milliards de dollars par an.
Les personnes sans-abri sont particulièrement à risque d’attraper la COVID-19 en raison de leurs problèmes de santé préexistants, de leurs conditions de vie dans des endroits surpeuplés et de leur manque d’accès aux soins de santé.
Depuis le début du mois de mars, les services d’aide aux personnes sans-abri mènent une course effrénée pour mettre en place des mesures visant à protéger ces personnes contre la COVID-19.
Toronto est aujourd’hui l’épicentre de la pandémie de la COVID-19 dans le milieu de l’itinérance. Il y a eu environ 500 cas positifs dans 14 foyers. Pour mettre les choses en perspective, l’ensemble de la province du Manitoba a enregistré 297 cas.
Mais Toronto est l’endroit où le pire scénario s’est produit. Le fait que nous n’ayons pas encore vu de flambées à grande échelle et de pertes de vie en dehors de Toronto est le résultat de plusieurs facteurs importants, notamment : les efforts incroyablement rapides et héroïques des travailleurs de première ligne, le leadership des experts en soins de santé du Canadian Network for the Health and Housing of People Experiencing Homelessness (Réseau canadien pour la santé et le logement des personnes en situation d’itinérance), la protection offerte par les mesures de santé publique qui ont permis de garder la plupart des Canadiens à la maison, réduisant ainsi le risque de transmission aux personnes sans-abri et, honnêtement, il faut dire que les personnes sans-abri ont fui les refuges pour la sécurité relative de dormir à l’extérieur.
La capacité du secteur de l’itinérance à protéger les gens est due en grande partie à la réactivité du gouvernement du Canada, et plus particulièrement d’Emploi et Développement social Canada et du programme Vers un chez-soi. Le ministre Ahmed Hussen, le secrétaire parlementaire Adam Vaughan et leurs fonctionnaires devraient être spécifiquement reconnus et applaudis. Ils ont réussi à faire parvenir rapidement aux communautés un financement souple et nécessaire, ce qui a été essentiel pour aider les communautés à tout préparer et à tout sécuriser, de l’équipement de protection personnelle et la dotation en personnel aux chambres d’hôtel pour l’isolement, la quarantaine et la distanciation sociale.
Mais aucune des mesures d’urgence que nous avons mises en place ne remplace un logement, et nous ne sommes pas encore sortis du bois. La réouverture de l’économie comporte des risques très réels. Il reste des défis à relever pour maintenir les protections sur le long terme et une deuxième vague du virus présente de véritables dangers.
Partout au Canada, les gouvernements commencent à rouvrir l’économie et les gens parlent de revenir à la normale. Il ne peut y avoir de retour à la normale. La normale, c’est que plus de 235 000 Canadiens par an sont sans-abri et en danger de mort pour la seule raison qu’ils sont pauvres et sans logement.
Le temps est venu pour nous de ne pas seulement agir de toute urgence pour que les gens trouvent un logement le plus rapidement possible, mais aussi de mettre en place un plan de relance qui mette un terme définitif et durable à l’itinérance
À cette fin, l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance a présenté un plan de relance en six points pour mettre fin à l’itinérance. Ce plan comprend :
- Un engagement fédéral (avec des calendriers et des objectifs) pour la prévention et l’élimination de l’itinérance avec un investissement fédéral accru pour les réponses communautaires à l’itinérance en s’appuyant sur le programme Vers un chez-soi, y compris une définition nationale de l’itinérance et des mesures spécifiques pour lutter contre l’itinérance chez les Autochtones, les anciens combattants, ainsi que les femmes et les personnes vivant dans des communautés rurales et éloignées.
Comme nous l’avons vu lors de la pandémie, le leadership fédéral est essentiel et très efficace.
- Un revenu minimum garanti national pour s’assurer que les personnes les plus démunies disposent de ressources financières minimales pour les aider à satisfaire leurs besoins fondamentaux et prévenir l’itinérance lorsque les temps sont durs.
- La construction de 300 000 nouveaux logements abordables et supervisés en permanence sur une période de 10 ans et un soutien locatif amélioré pour les Canadiens à faible revenu afin de remédier à la crise du logement et de l’itinérance au Canada. Lors de la création de nouveaux logements, la priorité devrait être accordée aux personnes sans-abri ou à celles qui sont le plus à risque. Nous devrions examiner de près un élargissement de la Prestation canadienne pour le logement afin de mieux soutenir la prévention de l’itinérance.
- Une mise en œuvre significative du droit au logement pour faire face et résoudre les inégalités et les failles systémiques/structurelles qui contribuent à l’itinérance et au besoin de logement. Comme le secteur privé le sait bien, lorsque vous écoutez vos clients et répondez à leurs besoins, vous obtenez une efficacité bien plus grande et de meilleurs résultats. C’est là le cœur du droit au logement.
- Mettre en œuvre des mesures visant à réduire les effets de la financiarisation des marchés du logement locatif en limitant la capacité des grands fonds d’investissement (y compris les fiducies de placement immobilier) à acheter des actifs de logement locatif « en difficulté ».
Selon Steve Pomeroy, éminent chercheur en politique du logement, entre 2011 et 2016, le nombre de logements locatifs privés abordables pour les ménages gagnant moins de 30 000 dollars par an (loyers inférieurs à 750 dollars par mois) a diminué de 322 600 unités. Au cours de la même période, les investissements fédéraux et provinciaux en matière de logement abordable (principalement en Colombie-Britannique et au Québec) ont permis d’ajouter moins de 20 000 nouveaux logements abordables – ainsi, pour chaque nouveau logement abordable créé, à un coût public considérable, quinze logements privés abordables existants ont été perdus.
Si cette tendance se poursuivait jusqu’en 2020, plus de 480 000 logements abordables auraient été perdus. À la suite de la pandémie, on craint que cette tendance ne s’accélère et n’aggrave encore la crise du logement au Canada. Enfin, et c’est important :
- La mise en œuvre d’une stratégie de logement et de lutte contre l’itinérance pour les peuples autochtones dans les zones urbaines et rurales, dotée de ressources suffisantes et basée sur des distinctions, qui est élaborée et mise en œuvre par les peuples autochtones dans les zones urbaines, rurales et nordiques et par les prestataires de logement et de services.
Les peuples autochtones représentent environ 5 % de la population canadienne, mais peuvent représenter jusqu’à 30 % de la population itinérante. Selon les données fédérales sur les refuges, les hommes autochtones ont 11 fois plus de chances de se retrouver dans des refuges pour sans-abri que les hommes non autochtones et les femmes autochtones ont 15 fois plus de chances de se retrouver dans un refuge que les femmes non autochtones.
Dans toute crise, il y a une occasion à saisir. Nous avons la possibilité de reconstruire en mieux. Nous ne pouvons pas revenir à la normale – à une normale où plus de 235 000 Canadiens sont sans-abri chaque année; où 1,7 million de ménages vivent dans des logements insalubres ou inabordables; où des personnes sont en danger de mort sans autre raison que le manque d’endroit où se réfugier.
L’itinérance est le résultat direct des choix politiques passés. Il est temps de faire de meilleurs choix.
Nous savons ce qu’il faut faire et comment le faire. Nous pouvons suivre l’exemple de communautés comme Edmonton, Calgary, Medicine Hat, Guelph, Chatham Kent, Dufferin, Durham et bien d’autres qui ont toutes réussi à réduire l’itinérance à grande échelle.
Investir dans l’élimination de l’itinérance permet d’économiser de l’argent. Selon un rapport de 2019 de la Ville d’Edmonton, « Depuis 2009, plus de 8 400 personnes ont été logées et le nombre total de personnes sans-abri à [Edmonton] a été réduit de 43 %. De plus, ces efforts ont permis d’économiser environ 920 millions de dollars en coûts de santé et de justice ». Des études canadiennes ont montré que pour chaque dollar dépensé dans le cadre des programmes Logement d’abord, les systèmes de santé et de justice économisent plus de deux dollars.
Investir dans le logement crée des emplois. Notre proposition de construire 300 000 nouveaux logements sur 10 ans permettrait de créer directement au moins 300 000 emplois et de stimuler 3 millions d’emplois supplémentaires ailleurs dans l’économie.
Nous avons maintenant la possibilité de reconstruire en mieux – pour accélérer le progrès afin de mettre fin à l’itinérance, de lutter contre la crise du logement au Canada, de créer des emplois, de réaliser des économies à long terme, d’avoir une meilleure politique sociale et de stimuler l’économie. Nous avons la possibilité de remettre tout le monde sur pied.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur recoveryforall.ca.